Saint Jazz Festival 2020

Par miracle – mais surtout par détermination et conviction – le Saint Jazz Festival (34ème édition !) s’est déroulé ces vendredi et samedi à la Jazz Station et au Bota.

En formule « Covid » (que l’on commence à bien connaître, c’est à dire : jauge limitée, port du masque, distanciation et tout le toutim) Dimitri Demannez et son équipe ont donc concocté une édition « light » (4 groupes) mais costaude (NABOU, Jean-Paul Estiévenart Quintet, The Kaz & Lalao et The Gallands) !

Bien entendu, le public a répondu présent car il avait bien envie de partager un peu de vraie chaleur et beaucoup d’émotions avec les artistes. Ça tombe bien, ces derniers n’avaient qu’une envie : jouer pour le public !

C’est Nabou Claerhout qui a l’honneur d’ouvrir le bal. La tromboniste a sorti, avec son quartette, un extended play Hubert (ne me demandez pas d’où vient ce nom) et prépare un prochain album avec la même équipe à savoir : Roeland Celis à la guitare électrique, Trui Amerlinck à la contrebasse et Mathias Vercammen à la batterie.

Le jazz de NABOU est une sorte de condensé d’influence funk (Fred Wesley, Trombone Shorty…) et de jazz métissé qui bouillonne actuellement du côté de Londres.

Nabou Claerhout laisse venir le groove sur des pulsations plutôt régulières, hypnotiques et qui montent en intensité, instillées par des pizzicati de contrebasse et un drumming aux tendances rock. Il y a juste ce qu’il faut de balancement et d’équilibre fragile pour que tout cela remue sensuellement.

NABOU emprunte des routes pas trop lisses sur lesquelles des cailloux se seraient répandus. Alors on prend de la vitesse, on joue avec les limites du contrôle en sachant que le risque existe. Mais on s’en fiche. Alors on ose les changements de rythmes et de destinations. Ça gronde de plaisir et ça déroule. Et c’est grisant.

Tandis que la guitare passe de l’atmosphérique (un certain esprit americana folkeux) aux riffs plus tranchants et rock, Nabou joue ostensiblement avec la réverb’, les loops et le delay pour ajouter du relief.

Un « Black Light » fonceur, un « Kip » avec une pointe d’humour, un « Portrait Of You » plus sensible et un « Not That Bad » plus éclaté qui laisse plein d’espace au guitariste ainsi qu’au jeu oscillant entre classique jazz pour la contrebassiste (je vous invite d’ailleurs à découvrir l’un des autres projets de cette dernière – Another String Quartet – un quatuor à cordes délicieux). En rappel, et pour notre plus grand plaisir, Nabou Claerhout revient seule et nous offre un solo élégant et mystérieux, agrémenté de quelques loops et d’une petite sonnette de vélo. Cette fille a de la suite dans les idées et impose, sans forcer, sa personnalité. A suivre de très près.

Après un break savamment orchestré par l’organisation du festival, le quintette de Jean-Paul Estiévenart, au grand complet, monte sur scène. Le trompettiste présente son excellentissime album Strange Bird, sorti fin 2018 et que le groupe n’a quasiment pas eu l’occasion de défendre sur scène ! ( P… de Covid ! )

Le plaisir de jouer ensemble – enfin ! –  est indéniable. Dès l’entame de « Barcelona » on sait que ça va être du très haut niveau.

Jean-Paul sait accueillir et partager. En cela aussi, c’est un surdoué (ou simplement un vrai chic type ?). Il introduit le thème puis laisse beaucoup de place aux musiciens qui l’accompagnent. Le guitariste français, Romain Pilon, peut ainsi broder, inventer et improviser à sa guise. Le phrasé est aussi souple que nerveux et toujours inventif. Jean-Paul joue le passeur. Il reprend quelques notes hautes, claires, précises, et cède le relai à Nicola Andrioli. Et voilà le pianiste qui laisse éclater tout son talent, avec humilité et subtilité mais avec une audace et une créativité incroyables. La rythmique ( Nic Thys, impérial, sobre et indispensable) et Antoine Pierre (félin, imprévisible et en osmose totale avec le trompettiste) déroule le tapis rouge. « La Caseta » et « Con Pasión » sont réinventés pour nous. Mais bon dieu, que c’est intelligent et sensé comme musique ! Comme c’est malin et rusé. Comme c’est grand ! Chacun des musiciens joue l’un pour l’autre et personne ne tire la couverture à lui mais encourage tout le monde à aller vers le haut. Jean-Paul laisse parler son groupe mais, quand il intervient, on sait que c’est lui le boss. Il illumine plus encore ses thèmes, y injecte des éclats de vérité, révèle chaque fois une idée encore inconnue.

Il est toujours sur le fil du rasoir, il balance des éclats sonores venus d’on ne sait où, comme pour désamorcer une émotion trop forte, comme « pour en rire », et ainsi lui de redonner encore plus de force par la suite. Sa musique, c’est la vie : on ne sait jamais ce qui peut arriver dans les prochaines secondes, alors il vaut mieux être conscient du moment présent.

Après le très bopisant « Bert’s Sketch », en hommage à Bert Joris (autre grand trompettiste éblouissant) le quintette nous livre un « Strange Bird » aussi torturé qu’éclatant et un sensible et touchant « Inès 11 » dédié à la fille du leader.

Ce quintette est décidément exceptionnel et Jean-Paul Estiévenart est l’un des tout grands trompettistes européens actuellement. On ne le dira jamais assez. 

Samedi soir, pour la seconde journée du festival, c’était à l’Orangerie du Bota que ça se passait.

Le bassiste Clive Govinden (Touré Kunda, Zap Mama, Carla Bruni), un fidèle du festival, proposait la fusion de son nouveau groupe, The Kaz, avec celui de Yanik Jacket (excellent chanteur et violoncelliste), Lalao. C’est un projet un peu hybride qui mêle pop, rap, musique des îles, un soupçon de musique africaine, un poil de funk ou de soul… et qui se cherche encore un peu.

C’est plutôt festif et sympathique, plutôt (très) pop, et chacun des excellents musiciens tire son épingle du jeu. Romain Carcera, au vibraphone, dans quelques très bons solos enflammés par exemple, Joël Rabesolo et son « picking » assez personnel et très convainquant sur le morceau pop sauce créole « Ça y est » ou encore Josaphat Hounnou aux drums et Elvin Galland aux claviers.

Mais ça manque un peu de cohésion et la balance sonore, plutôt aléatoire, n’arrange pas vraiment les choses. On invite même Senso (ex Joshua) à donner un coup de main à Govinden pour partager ses émotions… Ça danse et c’est agréable. Mais évidemment, par rapport au duo qui suit (The Gallands), le groupe a du mal à tenir la comparaison.

The Gallands, ce sont, Elvin Galland aux claviers, le fils, et Stéphane Galland aux drums, le père. Ensemble, ils ont mis au point un solide répertoire basé sur différents groove, bien entendu, qui n’oublie cependant pas les harmonies ni les mélodies trempées dans le hip-hop, la soul, le jazz ou l’électro.

C’est un véritable échange d’idées auquel on assiste, un partage d’émotions et de connivence surtout.

Faut-il revenir, une fois de plus, sur la qualité et l’intelligence de jeu de cet extra-terrestre qu’est Stéphane Galland ? Sur ce jeu qui permet de mettre en avant celui, très inspiré, de son claviériste de fils (qui est quand même à la base de l’écriture de beaucoup de thèmes) ? La plupart des morceaux (à part « Diversity Celebration » ou « Ethereality ») n’ont pas de titres (ou se nomment « Groove 28 », « Groove 13 »…) et tous sont irrésistibles.

Tout est dosé dans les frappes du batteur, dans les breaks, les relances, les accélérations. Et surtout, rien n’est démonstratif. La palette de jeu est immense et toujours surprenante. On se demande (quand on ne se laisse pas prendre par la musique – ce qui est difficile) comment Stéphane arrive à faire tout cela avec seulement deux bras et deux pieds ! Ce duo est un cocktail explosif parfait de jungle, groove, trip-hop, jazz, soul ou r&b. Et c’est une évidence ! Quel feu d’artifice de sons et de nuances, et quel plaisir de voir ces deux-là jouer ensemble !

Fabuleux !

Bien vite l’année prochaine pour une trente-cinquième édition du Saint Jazz Festival dans des conditions, espérons-le, un peu plus normales.


A+

Merci à ©Olivier Lestoquoit pour les images.

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