Saint Jazz 2023 – Au Bota

Tous les ans, depuis 1985 à l’initiative de l’ancien bourgmestre Jean Demannez, le Saint Jazz Ten-Noode (repris de main de maître par Dimitri Demannez) fait résonner les notes bleues dans la plus petite commune bruxelloise.

Du jazz mainstream, aventureux, funky, vocal ou bluesy, tous les genres ont voix au chapitre. Cette année, cependant, la programmation s’est un peu plus orientée vers le groove, qui convient sans doute mieux aux salles du Botanique qui accueillent la majorité des concerts. Il y avait aussi, la veille à l’incontournable Jazz Station, le Jazz Station Big Band et une soirée Easy Swing.

C’est à Antoine Pierre que revient l’honneur d’ouvrir, vendredi soir, le Saint Jazz 2023 au Bota. Unplugged Computer. Le titre du projet est clair. Le batteur, entouré de Dorian Dumont aux claviers, de l’anglais Stuart McCallum (Cinematic Orchestra) à la guitare et de Florent Nisse à la contrebasse, débranche la musique électronique de groupes tels que Aphex Twin, Squarepusher, DJ Rashad ou encore Thom Yorke. Bien entendu, dans ce genre de musiques, c’est surtout le rythme qui prédomine… Ce qui convient parfaitement au jeu nerveux de notre batteur belge tout-terrain. Pourtant, entre des motifs répétitifs qui s’additionnent et se distordent, des mélodies trouvent un chemin. Il faut être très spécialiste (ce que je ne suis pas vraiment) pour reconnaître les titres empruntés à ces groupes emblématiques, mais le résultat est assez excitant et très convaincant. Dans ce « techno jazz », on laisse même pas mal de place aux impros, ce qui permet à Dorian Dumont, toujours à l’affût, de s’offrir plus d’une fois des sorties impressionnantes. Net. Précis. Joyeux. Un set dansant et furieux.

On enchaîne tout de suite, à la Rotonde, avec le trio de Conti Bilong. Encore un batteur-leader ! Mais d’un tout autre genre. Originaire du Cameroun, Conti Bilong a longtemps collaboré avec Oumou Sangaré ou avec Manu Dibango. Normal que dans ses compositions musclées et enlevées, on retrouve des parfums d’afro beat, de musiques antillaises ou de Makossa. Dans ce « power trio », le pianiste Éric Montigny, très investi, injecte avec force et vélocité un swing affirmé. Il tempère puis il relance, dans une déferlante d’arpèges vifs, des mélodies acérées. La contrebasse de l’excellent Gabriel Pierre (Fred Nardin, Franck Amsallem…) assure un groove nerveux.

La musique est compacte, fun et énergique. Et l’ambiance monte très vite. Conti Bilong s’accompagne aussi au chant, dans un dialecte traditionnel ou en français, comme sur cette reprise très originale et très réussie de « L’eau à la bouche » de Gainsbourg. Il y a encore un hommage à Joe Zawinul («Zawisiko » dans lequel on devine une pointe de « Birdland ») qui part en bop nerveux et ultra rapide. C’est intense et entraînant, voire impressionant. Très belle découverte d’un trio lumineux à la personnalité originale. A retenir et à suivre.

Retour à l’Orangerie pour écouter The Rhythm Hunters, le projet de Stéphane Galland qui n’en finit pas d’impressionner. J’ai déjà vu le groupe plus d’une fois (Jazz Station, Gent Jazz) et la surprise est toujours au rendez-vous. Le groupe est à chaque fois plus complice et plus connecté. Il peut se permettre, dans cette musique aussi sophistiquée que groovy et instantanée, de prendre des libertés. Wajdi Riahi, seul au piano, introduit le premier morceau et tout se met en place rapidement. La basse de Louise van den Heuvel, qui impose sa patte, est en parfaite adhésion avec le jeu foisonnant de Galland. D’ailleurs, la guitariste ne quitte pas des yeux le batteur.

« Positivv » puis « Lindy Effect » ou « Morphing Dolphins » se révèlent une fois de plus sous un autre jour. Sylvain Debaisieux, sax alto mordant, parfois rocailleux, vient en parfaite complémentarité du ténor, plus ondulant, de Shoko Igarashi. Quant à Pierre-Antoine Savoyat, entre trompette et bugle, il apporte une fantastique brillance et des pointes d’émotions. En rappel, le groupe reprend « Afro Blue », à sa manière, et c’est jubilatoire. The Rhythm Hunters mélange les couleurs, les cultures, les rythmes. C’est riche et toujours aussi excitant.

Le lendemain, samedi, la Rotonde accueille la voix céleste (ou « les voix », tellement la tessiture est ample) de Milla Brune. La chanteuse est accompagnée aux claviers par son frère, Colin De Bruyne et, à la guitare (et basse et claviers), par le touche-à-tout virtuose Cédric Raymond. Milla Brune présente son dernier album, Higher…, qui mélange pop, soul et ballades tendres et poétiques. Elle fait ce qu’elle veut avec sa voix qui titille l’imagination. Avec elle, on voyage, on frissonne, on s’attendrit. Entre compositions personnelles, nouvelles et anciennes (« Struggling », le formidable « The Other Woman », « Crushed In Slow Motion »), elle insère « Wuthering Heights » qu’aurait sans nul doute apprécié Kate Bush. Doux moments pour entamer ce début de soirée. Chapeau et merci l’artiste.

Dans la grande salle, Commander Spoon. J’ai beaucoup écouté ce groupe (et même réalisé des interviews avec les leaders Pierre Spataro (ts) et Samy Wallens (dm)) mais ne l’avais jamais vu sur scène. Après cinq ans d’existence, il n’est jamais trop tard. Commander Spoon, quintette dans lequel on retrouve Florent Jeunieaux à la guitare, Lorenzo Ola Kobina aux claviers et Fil Caporali à la contrebasse, propose du « nasty groove jazz » inspiré, entre autres, de celui qui grouille à Londres et ses banlieues. Avec la griffe belge en plus. C’est dégraissé, franc, direct et métissé.

Commander Spoon se moque des conventions et brise allègrement – et avec beaucoup d’ à-propos – les barrières entre jazz, hip hop, rock, electro et afro dance. Le drumming impose une pulsation ferme et pleine de variations, le sax chante avec force et la guitare se permet des envolées rock pleines de riffs incisifs. On serait presque proche, parfois, du hard rock. La contrebasse, dans ce contexte, n’a rien d’anachronique et arrive, mine de rien à se rendre indispensable. Quant aux claviers, ils apportent cette touche, parfois décalée, de funk aux accents vintages. Plus ça va, plus ça danse, plus ça brûle. Voilà du jazz très actuel, instantané, qui invite le monde à bouger et à s’amuser. Qui n’en voudrait pas ?

KLΞIИ est le trio luxembourgeois emmené par Jerôme Klein (ici aux claviers et voix) qu’accompagnent Pol Belardi au vibraphone et Niels Engel aux drums. J’avais beaucoup aimé (et j’aime toujours) le premier EP ainsi que l’album Sonder. L’approche du groupe est de faire juxtaposer et de fusionner différentes ambiances parfois sombres mais toujours pleines de nervosité et de turbulences. C’est un mélange original d’électro pop, de new-wave et d’impros frénétiques. Mais ce soir, que s’est-il passé ? Sont-ce mes oreilles trop vielles et trop fragiles ? Toujours est-il que la suramplification de la batterie (avec supplément de réverb’ sur la grosse caisse) a écrasé tout le reste. Pol Belardi s’agite et s’affaire sur un vibra qu’on n’entend pas, les vagues mélodies distillées par Jérôme Klein sont noyées… sans parler du chant (même si c’est assumé) qui est inaudible. Fini la finesse des arrangements et le plaisir des reliefs. Seul « Solace » tire son épingle du jeu. Bref, à revoir mais, là, j’ai dit au revoir avant la fin.

Alors on termine sur une note positive avec le feu d’artifice funky de NØ Steam. C’est une sacrée bande qui entre sur scène à l’appel de DJ Eb Kaito qui scratche comme au bon vieux temps des eighties. Federico Pecoraro à la basse électrique et Martin Méreau aux drums (finalement, ce week-end, on aura vu tous les membres de ECHT! sur scène) balancent solidement les cadences. Devant, Igor Gehenot, au piano électrique, et Fabrizio Graceffa à la guitare électrique (oscillant entre Nile Rogers et Grant Green) revisitent le funk en le parsemant de Hip Hop. Et puis derrière, il y a une fameuse section de cuivres (Olivier Bodson et Thomas Mayade (tp), Hervé Letor (s) et Dominique Della Nave (tb)) qui ne se fait pas prier pour improviser ou prendre individuellement des solos incandescents. Alors ça danse et ça transpire sur « Control Z » et « Bxvi », ou ça ondule sensuellement sur « Bohemic ». Le groupe évite le linéaire et injecte dans tous les morceaux des nuances rythmiques bienvenues. Tout est bien en place et réglé juste comme il faut pour pouvoir prendre toutes les libertés. Ça s’amuse autant sur scène que dans la salle. Alors, on en profite. Cent pour cent plaisir.

Une fois de plus : « Merci Saint-Jazz ».
Et merci à ©Didier Wagner pour les images.

A+
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