Marni Jazz Festival 2023 – Part 1 – Sal La Rocca, Nic Thys et Sam Gerstmans

Le Marni Jazz Festival n’est pas un festival comme les autres. Il se déroule sur plusieurs jours (comme la plupart des festivals) mais ne propose qu’un seul concert par soir et ceux-ci sont dédiés spécialement à un instrument. Cette année, c’est la contrebasse qui est mise à l’honneur. Cinq concerts se succèdent entre le 14 et le 22 septembre. Commençons par les trois premiers.

Le 14, Sal La Rocca et son quintette (le SLR5) ouvre les festivités. Dans le beau et chaleureux théâtre, la totalité des strapontins sont occupés.

Depuis quelques temps, Sal La Rocca semble vivre une seconde jeunesse. Il s’est entouré de musiciens de haut vol de la « jeune génération » (entre guillemets), tels que Maayan Smith au sax ténor, Igor Gehenot au piano et Umberto Odone aux drums. Et pour équilibrer l’ensemble, il peut compter sur son vieux complice, Phil Abraham au trombone. Pour l’occasion – et comme c’est aussi la tradition du festival – il a convié, en plus, le très jeune et très prometteur guitariste Eliott Knuets à venir épicer un peu plus encore sa musique.

Entre thèmes plutôt hard bop et swinguants (« Not Rated ») et grooves soutenus, on ne s’ennuie pas un instant. Le contrebassiste présente chacun des morceaux avec beaucoup d’humour et autant de dérision. Chaque musicien y va de son solo : attaques franches du sax, entrée en sensualité qui monte en intensité du trombone (glissando et légers growl). La guitare alerte de Knuets intervient, elle, par petites touches, insufflant ici ou là une pointe de soul supplémentaire. A la batterie, le drive est impeccable.

Après deux solides morceaux en quintette, on se retrouve à trois (sax, dm, cb) le temps d’un « You Wouldn’t Say That », façon blues un peu décalé et sax déviant. Ensuite, il y a ce thème dédié à sa belle-maman, intimiste et introspectif mais surtout très touchant et très émouvant.

Le contraste est fort, ensuite, avec le joyeux et entrainant « Ritornello » où chacun s’amuse. Sax et trombone se complètent à merveille : à la fois moelleux à l’unisson et plus tranchants lorsqu’ils se répondent l’un l’autre. Igor Gehenot, fidèle à lui-même injecte du groove ou soutient avec lyrisme les sorties de Sal qui, la plupart du temps laisse beaucoup de place à ses compagnons, à l’exception de quelques solos ou d’intros qui propulsent généralement le groupe dans des courses haletantes. Le dernier morceau, tendu jusqu’au bout, sonne comme un baroud d’honneur et, en rappel, « Freedom Of Thought », aux accents soul bop et afro-cubain met un point final à un concert impeccable et plein de bonne humeur.

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Le jeudi 15, c’est au tour de Nicolas Thys de présenter son trio (Jeroen Van Herzeele au sax et Antoine Pierre à la batterie) avec, en invité, le trompettiste érythréen-américain (et vivant à Paris) Hermon Mehari.

On connaît l’amour de Nic Thys pour les moments apaisés et pleins de douceurs où se mélangent post bop, pop/folk et, parfois, de lointaines réminiscences de musiques ethniques.

Alors on commence par une version détendue de « The Blessing » d’Ornette Coleman, avant de continuer avec « Long Island City » (assez colemanien aussi) à l’énergie maîtrisée. C’est l’occasion pour Hermon Mehari de dévoiler son talent. Le son de sa trompette est clair, le phrasé est doux et souple. On remarque cette qualité dans le langoureux « Blue Monk » également. Et quand il faut marquer le coup plus franchement (sur l’efficace « First Rythm », par exemple) Mehari ne se fait pas prier. « A l’ancienne », il déroule les chorus avec vivacité et précision.

De son côté, Antoine Pierre démontre qu’il est un véritable batteur de jazz (avec ses récents projets, on l’aurait presque oublié). Le swing, le groove et sa façon de louvoyer entre les mélodies et les rythmes, tout en gardant le cap, sont impeccables. L’interaction avec le contrebassiste est idéale. Nic Thys joue les contrepoints et assure un soutien inébranlable à l’ensemble. Le jeu est charnu et, de temps en temps, il se met en avant (il aurait tort de se gêner) et se permet de beaux solos reprenant la mélodie. Tout cela dans un cocoon confortable. Même Jeroen Van Herzeele est en mode « velours » (entendons-nous, c’est du velours avec les aspérités qui le rendent singulier).
Un concert détendu et gracieux, qui prend tout son temps et qui se termine sur une version sensuelle de « Smoke Gets In Your Eyes ».

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La belle surprise du festival, c’est à Sam Gerstmans qu’on la doit. Sideman réputé et très demandé (Jean-Paul Estiévenart, Olivier Colette, Steve et Greg Houben, Les Violons de Bruxelles… ) ou co-leader (Mohy/Liégeois/ Gerstmans, Vaganée/Verbruggen/Gerstmans, Nina New Dawn avec Delphine Gardin…), il a rarement endossé le rôle de leader principal. C’est l’occasion rêvée, pour lui, de présenter sa carte blanche ce mardi 19.

Et le voilà à la trompette (!!!), entouré de Timothé Lemaire (tb) et Tom Callens (as), pour ouvrir son concert avec un « hymne » aux accents gospel-brass-New-Orleans.

Et puisque la brèche est ouverte, le quartette (Umberto Odone est à la batterie et Sam Gertsmans a repris sa contrebasse) continue avec un thème qui mélange jazz et voodoo style et permet aux souffleurs d’improviser allègrement. Et c’est cela qui est réjouissant (entre autres) dans cette formule pourtant toute fraîche : on ne s’embarrasse pas de partitions et on laisse beaucoup de place aux improvisations.

Alors, Sam Gerstmans propose de faire le tour des jazz(s) qu’il aime. D’abord un post bop palpitant (« Le Kiwi fou ») que n’aurait pas renié un Mingus, avec attaques franches de drums et impros tanguantes de trombones et de sax. Puis c’est une ambiance plus mystérieuse, à la ECM, qui se dessine (« Deux élans dans la brume »). Le groupe effleure alors la musique classique impressionniste avec une suite en trois mouvements (« Le nénuphar en fleur »), puis repart sur un rumba lente. Et tout cela est cohérent.
Ce n’est plus une carte blanche mais une palette aux mille couleurs que le contrebassiste nous dévoile.

Tom Callens a plusieurs fois l’occasion d’éblouir l’auditoire dans un jeu sinueux, affirmé et toujours inventif auquel Thimothé Lemaire emboite le pas. Umberto Odone propose, lui aussi, un éventail de styles très nuancés.

Sam Gerstmans joue avec les genres, les sons et même la lumière. Seul avec son instrument, éclairé par la lumière d’un unique spot qui tombe du plafond, il balance lentement un air hypnotique, sépulcral et aventureux. Il y a comme du Mark Dresser dans cette improvisation introspective. Frisson garanti.

Et puis ça repart en swing et en quartette.

Applaudissements nourris. Standing ovation incontestablement méritée.

En cadeau, pour le rappel, Sam et ses compagnons nous offre encore une version libre et magnifique de « L’Hymne à l’amour » de Piaf. Conclusion parfaite d’une magnifique et surprenante soirée.

Merci à ©Olivier Lestoquoit (Zi Owl) pour les images.

A+

(A suivre… pour les deux derniers concerts du festival)

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