Qu’il est bon de flâner dans la campagne gaumaise un dimanche avant de retourner sur le site du Gaume Jazz Festival à Rossignol. Il y a toujours autant de soleil et la bonne humeur est toujours au rendez-vous.

Dans la salle du Centre Culturel, on se presse pour aller écouter la chanteuse et harpiste Pia Salvia en compagnie de son quartette (Noam Israeli aux drums et cajón, Victor Foulon à la contrebasse et Tom Callens au sax et à la clarinette). J’avais vu et entendu Pia Salvia pour la toute première fois au Tournai Jazz Festival en 2013 et j’avais été charmé. Depuis, elle est allée passer quelques années aux States et a voyagé un peu partout dans le monde. C’est sans doute pour cela que son jazz se colore légèrement de flamenco (« Valencia »), de valse (« I Walk Alone »), de musiques orientales, balkaniques, latines (« Moody ») ou de chansons (« Image-moi »). Le quartette installe gentiment un univers singulier, plein de charme, de poésie et d’humour. La voix de Pia est délicate et aérienne. La tendance pop (assumée) que l’on retrouve sur l’album s’estompe un peu ici au profit d’un jazz plus affirmé. Et ce n’est pas pour me déplaire. On laisse de la place à de beaux solos de contrebasse, chauds et boisés, ou à des improvisations parfois très libres de Tom Callens au sax ou à la flûte. Ça communique, ça échange, ça s’écoute, ça invente. Voilà décidément une intégration de la harpe bien intéressante. Un beau concert lumineux avec une vraie personnalité.

Sur la grande scène, Pauline Leblond se présente avec son double quartette. Sorte de mini big band jazz et swing accolé à une formation baroque. Ayant déjà vu plusieurs fois ce groupe (Brosella, Belgian Jazz Meeting, en streaming…), je peux confirmer que la machine est de mieux en mieux huilée. Cordes et quartette se fondent de plus en plus les uns dans les autres. La fluidité et les improvisations sont plus évidentes. La musique, très écrite, semble elle aussi plus ouverte. Outre les interventions claires de la trompettiste, on note aussi quelques beaux solos incisifs de Guillaume Gillain à la guitare et le jeu inventif et foisonnant de Fil Caporali à la contrebasse. De même, du côté du quatuor, les sorties de Maritsa Ney (premier violon) se font très pertinentes, sur « Passacaille » notamment. Voilà un agréable moment que l’on savoure autant que cette légère brise qui vient un peu rafraîchir le grand chapiteau.

Juste à côté, sur la seconde scène, on change de style avec le groupe luxembourgeois Tele-Port. Énergie et groove (et quelques tendances funk) au programme ! Le saxophoniste russe Zhenya Strigalev s’est coiffé d’une belle couronne royale à l’anglaise. Aussitôt, ça file comme une fusée. Derrière le drumming claquant de Jeff Herr et la basse électrique non moins costaude de Pol Belardi, Jérôme Klein injecte des phrases courtes au Fender Rhodes et des nappes de « sons cosmiques » au synthé. Il y a comme de l’urgence, de la folie et un besoin de liberté qui émanent du groupe. Le saxophoniste se tortille et fait crier son instrument autant qu’il n’en pince le son. C’est un mélange osé de free jazz et de groove. Mais pas que… Au fil des morceaux (même si la prestation n’est pas très longue), on retrouve également des touches plus psyché ou prog rock (« Concise »), ou des moments plus atmosphériques (« Fly ») qui peuvent rappeler parfois Sun Ra. Le groupe s’amuse et joue avec les références. Tele-Port rue un peu dans les brancards (un peu à l’image du jazz londonien) et ça fait du bien.

Retour au calme et au jazz plus traditionnel avec la pianiste Margaux Vranken et la chanteuse américaine Farayi Malek. Les deux jeunes femmes se sont rencontrées au Berkley à Boston. Ensemble, et avec une formation bien plus étoffée (16 musiciens), elles avaient commis Purpose. Un album sorti chez Igloo que Margaux était venue présenter au Gaume 2021 mais pas avec les mêmes musiciens (pandémie oblige). Dans la salle, c’est donc en duo et en toute intimité que l’on a droit à un joli chapelet de mélodies et d’harmonies à la fois jazz (« My Romance », « What A Day ») et à la fois plus pop et folk (« Constellation » un peu à la Randy Newman ou « It’s A Beautiful Messy Mysterious Thing » plus soul). Le jeu de la pianiste est élégant et ample, parsemé de touches malicieuses. C’est un « tapis » idéal pour la voix de Faryi qui possède une large tessiture et peut se permettre d’aller où elle veut. Les inflexions, les scats légers et aériens, les intentions plus gospel… toute la palette des grandes chanteuses de jazz est ici distillée avec charme et simplicité. La complicité entre les deux artistes est évidente et « Purpose », chanté à deux, en est la preuve. Pur moment de bonheur comme on les aime.

Ce qu’on aime aussi au Gaume, ce sont les concerts dans l’église qui nous offrent souvent de très belle surprises. Pour la troisième partie de sa carte blanche (Together In Spirit), Fabrice Alleman s’est entouré, cette fois, de trois voix : Barbara Wiernik, Véronique Schotte et François Vaiana. Trois « chants » différents qui lui permet de moduler et colorer ses compositions. Ce qui est intéressant dans cette « carte blanche » c’est de pouvoir entendre certains morceaux « travaillés » de façon très différentes suivant les line-up et les intentions (« Spirit » ou « Take It As It Is », par exemples). Alleman, au soprano (qu’il maîtrise comme personne), joue avec le lieu, l’espace et les silences. Il s’installe un instant au piano, se cache derrière pour chanter sur quelques accords sombres. Viennent alors les voix qui imitent le vent, les oiseaux et les esprits sans doute. Chaque chanteur s’accompagne d’une gestuelle singulière qui semble dessiner dans l’air des vallons, des pics, des vagues. Les chants a capella s’entremêlent, les polyrythmies s’invitent, les onomatopées aussi. La musique est à la fois mystique et joyeuse, parfois. Les voix et le soprano nous emmènent très haut et les mélodies s’infiltrent au plus profond de l’âme. C’est ultra touchant et, avouons-le, on a du mal à ne pas écraser une larme d’émotion.

Et ce n’est pas fini (le Gaume nous met quand même à rude épreuve !). Sous le grand chapiteau, l’ATOM String 4tet, venu tout droit de Pologne joue, lui aussi avec nos sentiments.
Trois violons (Dawid Lubowicz, Mateusz Smoczynski, Michal Zaborski) et un violoncelle (Krzysztof Lenczowski) emmènent le public dans la joie, la tristesse et la folie. Le quartette allie la musique classique (celle de Bohême) avec le jazz contemporain ou tzigane bien sûr. C’est d’une force délicate, d’une tranquillité sauvage. C’est éblouissant de tensions, d’échanges, de rebondissements. La poésie des compositions se frotte à l’intensité de l’interprétation. On est parfois proche du délire collectif, mais la rage est aussi contenue dans un dialogue délicat entre les cordes, pincées ou frottées. Comment se réapproprier des thèmes « classiques » (on contemporains) en improvisant autant et en évitant les clichés « jazzy » ? Comment trouver autant de libertés dans des musiques apparemment très structurées ? ATOM 4tet nous fait la leçon. Fabuleux !

Une bière (ou deux ?), une collation, une papote avec les amis et on termine cette belle édition en fanfare ! JEMM Music Project, un groupe de fous furieux italiens, nous en met plein la vue et les oreilles. Partant de musiques « tribales », de jazz et de world, les six musiciens (qui passent d’un instrument à l’autre avec un enthousiasme débordant) nous servent un cocktail ébouriffant. Max Castlunger passe du steel pan au balafon, du hangdrum au taishokoto, des percussions de fabrication maison au vibraphone. Il chante et danse sans compter et entraine avec lui le reste de la troupe : tromboniste, saxophoniste, vibraphoniste, bassiste et autre percussionniste. La folie s’empare de la tente. Ça chante, ça danse, ça transpire. Toutes les musiques du monde y passent. Le groupe n’a pas envie de quitter la scène. Le public ne veut pas partir non plus. On est épuisé mais on est reboosté.
On a le sourire aux lèvres. On a fait le plein d’émotions pendant trois jours. Et on se promet que l’on se reverra l’année prochaine, c’est sûr !
A+
Merci à ©Hugo Lefèvre pour les images.
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