PaNoPTiCon ? C’est quoi?

 

J’avais un jour écrit que la musique de PaNoPTiCon était indéfinissable. En réécoutant quelques-uns de leurs nombreux concerts mis en ligne sur leur site, je me suis rendu compte que ce n’était pas tout à fait vrai… ni tout à fait faux.

PaNoPTiCon, c’est d’abord Domenico Solazzo autour de qui gravitent une petite cinquantaine de musiciens venus de tous bords. Du jazz, du rock, de la musique contemporaine, du hip hop… Et c’est sans doute pour cela que la musique est autant indéfinissable qu’explicite. Parfois elle est très atmosphérique, parfois très funky, parfois très abstraite, parfois très rock… mais elle est toujours totalement improvisée.

Cette expérience, que Domenico trimballe derrière lui depuis plus de quatre ans, m’a toujours intriguée.

Chaque concert est unique et différent. Après le Factory Studio à Mouscron et Le Théâtre de Namur dans le cadre de Nam’In’Jazz, PaNoPTiCon sera au Brass (364, Avenue Van Volxem à Forest, juste à côté du Musée Wiels) ce vendredi 11 mars.

Une bonne occasion pour moi d’en discuter un peu avec Domenico.

 

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Quelle sera la configuration de PaNoPTiCon au Brass?

Il y aura Olivier Catala  à la basse, Antoine Guenet aux claviers et moi à la batterie. Mais il y a aura surtout deux saxophones basses. Ce sera impressionnant car ce sont deux instruments énormes, qu’on a peu l’habitude de voir, car ils sont difficiles à porter et doivent d’ailleurs être posés sur un support. Ce sont François Lourtie et Marti Mélia qui en joueront. François est un super saxophoniste qui joue, entre autres, dans Cruz Control et Marti Mélia est un ami de François. Je ne le connais pas encore et je jouerai avec lui pour la première fois au Brass. D’ailleurs c’est souvent comme cela que ça se passe avec PNoPTiCon. Un musicien en connaît un autre, qu’il me présente, avec qui l’on joue, avec qui l’on essaie des choses et puis tout s’enchaîne. Cela permet de faire des découvertes. Par exemple, pour un concert au Magasin 4, c’est Matthieu Safatly qui a joué avec nous. C’est un violoncelliste électrique qui jouait avec Present, le groupe progressif belge. Il joue actuellement avec Quattrophage, un groupe expérimental, neo-classique. Quand des opportunités comme celles-là se présentent, je saute sur l’occasion. Cela me permet chaque fois de renouveler la grammaire de la musique que l’on veut développer. J’espère simplement qu’il y a une continuité dans tout ça.


En tout cas, dans l’esprit et dans la démarche, elle y est certainement. Depuis combien de temps PaNoPTiCon existe-t-il?

Le premier concert a eu lieu en avril 2007. Au départ, je faisais de la musique, tout seul, dans mon petit studio, c’était un de mes hobbies. Et je sortais des albums de façon très confidentielle. En 2006, j’avais fait un album qui s’appelait “Multiply”, sur lequel il y avait dix morceaux. Pour chacun d’eux, j’avais invité un musicien. Soit je lui proposais un “projet” qu’il suivait ou modifiait, soit c’est lui qui venait avec une idée sur laquelle on jouait. Tout était permis, c’était très libre. Et parmi tous ces morceaux, deux m’ont tapé à l’oreille. On approchait un peu l’esthétique de Sextant (de Herbie Hancock), avec des atmosphères particulières. J’aimais vraiment bien ça.

Et puis, à cette époque-là, je découvrais le groupe norvégien Supersilent, qui improvisait totalement. Et comme je n’arrivais pas à défendre convenablement mon projet solo sur scène – parce que je suis peut-être trop pudique et pas assez à l’aise, je ne sais pas – mais que la scène me démange, je me suis dit que c’était peut-être ça la solution: un groupe! Un groupe mais sans les contraintes d’un groupe, c’est-à-dire sans les répétitions. Ce ne sont pas les répétitions qui m’ennuient, mais la l’organisation que cela demande. Surtout quand on veut réunir quarante personnes, et quand on sait que chaque musicien est impliqué dans d’autres projets, c’est ingérable. Quelque part, la formule PaNoPTiCon est un luxe. Un luxe, car j’ai la chance que les musiciens avec qui je joue sont tous excellents, mais en plus, ils ont osé franchir le pas. Car il faut avoir un minimum d’audace – ou d’inconscience, à toi de juger – pour se présenter sur scène le soir du concert sans savoir ce que l’on va faire. 


Comment sélectionnes-tu tes musiciens ?

Au départ, je faisais participer mes amis proches. Je n’ai aucune formation musicale, je ne sais pas lire ni écrire la musique. Tout est intuitif, chez moi. Et l’on ne peut pas dire que j’avais beaucoup de rapport avec le milieu du jazz. Alors, j’ai fait participer des gars qui étaient assez ouverts d’esprit. Dans une veine un peu rock psychédélique. Puis, c’est le bouche-à-oreille qui a joué par la suite. Les curieux se sont intéressés à la chose. D’un autre côté, j’allais frapper à la porte des musiciens pour leur proposer le projet. Et le collectif s’est constitué de cette manière-là, petit à petit. Le luxe, c’est de se dire que si j’ai besoin d’un saxophoniste, j’en ai quinze sur ma liste. Mais, lequel vais-je prendre? (Rire) C’est chouette et en même assez embêtant. Je n’ai pas envie de créer des jalousies non plus. Mais tout est question d’équilibre et d’esprit. Et en général, ça se passe plutôt bien.


Mais quand tu décides de choisir tel ou tel musicien – qui sont les ingrédients pour un concert – as-tu déjà une petite idée de la recette?

Oui, mais il y a un truc qui prévaut dans mon choix: c’est d’essayer à ne jamais avoir le même line-up. À l’exception de deux concerts, nous n’avons jamais joué dans la même configuration. Ensuite, entre ce que je désire et ce qui arrive, il y a aussi la surprise. Parfois, 24 heures avant un concert, j’ai trois désistements! Ça m’est arrivé. Alors, ce sont mails, coups de téléphone et gros stress… Mais ma roue de secours, elle est dans la manne des musiciens qui font partie du collectif. Bien sûr c’est un peu gênant de les appeler pour un remplacement. Mais, pour moi, ce n’est jamais un second choix. L’expérience musicale sera différente de celle que j’avais imaginée au départ et elle sera toute aussi intéressante et excitante. Aucun des musiciens avec qui je joue n’est meilleur ou moins bon qu’un autre. Ils sont tous différents et tous excellents. Le moins bon dans l’histoire, c’est certainement moi… Même si je suis le leader du projet.

 

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C’est pour cette raison que tu as appelé ce groupe PaNoPTiCon? Pour être au centre, voir ce qui se passe autour de toi et laisser les musiciens jouer librement?

Oui, c’est en référence à Jeremy Bentham qui avait mis au point cette architecture carcérale. Bon, présenté comme ça, c’est pas très agréable (rires). Je ne considère pas mon groupe comme une prison. Mais il faut, de toute façon, un garde-fou. L’improvisation échevelée et complètement barrée, j’adore ça aussi, et d’ailleurs, cela nous arrive de jouer comme cela, mais j’aime qu’il y ait une certaine architecture. Certaines personnes trouvent notre musique inaccessible. Pourtant, par rapport à certaines musiques improvisées, je trouve la nôtre vraiment très accessible. On essaie de poser des bases, qu’elles soient rythmiques ou mélodiques, afin que les gens puissent se raccrocher ou se référer à quelque chose. Il doit y avoir au moins un niveau stable, un pivot, en l’occurrence, moi. Voilà d’où vient l’idée et le nom de PaNoPTiCon. Vu la distance à laquelle les cellules sont éloignées du mirador central, les prisonniers ne savent jamais s’ils sont observés ou non. Dans le groupe, c’est un peu pareil. Le musicien ne sait pas s’il est observé. Il est libre, mais il s’oblige à une certaine autodiscipline. C’est ça qui est intéressant.


C’est ce que l’on ressent, en effet, en voyant le groupe sur scène. Tout le monde est libre, mais l’on sent un chemin commun.

Oui, parfois en début de set, je donne quelques consignes. Des choses que j’aimerais faire ou, au contraire éviter. Et les musiciens sont encore libres de les respecter ou pas. Parfois, je m’inspire de Brian Eno en donnant aux musiciens des petits mots écrits sur un bout de papier, du genre: «Les stratégies obscures». Des trucs qui ne veulent rien dire, mais qui peuvent évoquer quelque chose chez eux. Un jour, j’avais donné à Jean-Jacques Duerinckx, qui jouait avec Stéphane Mercier ce soir-là, un papier sur lequel était écrit «Ton double est ton ennemi». Ça me fait rire ces petits trucs. Et je ne sais pas dans quel état d’esprit se mettent les musiciens, car ils peuvent le prendre mal, ou ne pas comprendre. Mais moi, je m’amuse. Le tout est de s’amuser. Je ne me prends pas au sérieux, même si ma musique est quelque chose de très important pour moi.


Quand tu dis que certaines personnes trouvent cette musique inaccessible, c’est peut-être parce qu’ils ne savent pas où ils mettent les pieds. Il faut accepter l’inconnu. C’est ça qui est excitant. Après, on peut trouver ça intéressant ou pas, amusant ou chiant… c’est un autre débat. Mais ce principe de «ne pas savoir ce qui va se passer», ce n’est pas aussi un frein pour trouver des endroits où jouer?

Certainement. Pourtant, certains endroits qui freinaient des quatre fers au départ et ne voulaient pas entendre parler de nous, nous ont invité plusieurs fois par la suite. Quand j’envoie des disques aux salles et aux programmateurs, j’insiste toujours lourdement sur le fait que ce qu’ils entendent ne sera sans doute pas ce qu’ils entendront lors du concert que l’on fera. Forcément, tout est improvisé. Par contre, l’esprit sera le même. Il y a des salles qui voudraient entendre des musiques plus modales, plus funky, plus «jazz classique», plus hard… on est capable de faire ça aussi. Avec les mecs qui sont derrière, il n’y a aucun problème. Et je suis ouvert et prêt à faire ça aussi. C’est paramétrable. Mais l’esprit du PaNaPTiCon ne changera pas, ce sera improvisé et l’on ne viendra pas jouer des standards, ça c’est sûr. Tout le monde ne comprend pas ça. Et même des endroits qui ont pignon sur rue et qui se disent «ouverts» restent encore assez frileux. Mais plus on me ferme la porte au nez, plus cela me motive pour entrer.

 

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Tu as l’impression d’être dans un certain circuit, on va dire «underground» ou «avant-garde»? Car, en même temps, les musiciens avec lesquels tu joues font partie d’un certain «courant», sont parfois «borderline», on ne sait pas trop où ils se situent, non?

Oui et non. C’est au cas par cas. Je suis opportuniste. Si j’entends qu’un endroit cherche un groupe, je fonce, j’y vais. Et les musiciens, je vais les chercher partout, dans le rock la musique contemporaine, l’électro… Je ne crois pas être dans un circuit spécifique. R.E.D.A. a joué avec nous par exemple. C’est un producteur de Hip Hop qui jouait des platines. Je n’ai pas envie de me cantonner dans une seule «école». Plus c’est ouvert, plus c’est intéressant. C’est pour cela que j’essaie des combinaisons différentes chaque fois, pour voir ce que provoquent ces rencontres. Parfois, il m’arrive de mettre un chien et un chat ensemble. C’est amusant. J’essaie d’éviter les batailles d’ego, par contre…


Tu enregistres tous tes concerts, dans quel but?

Le partage. Car je ne compte vraiment pas me faire des thunes avec ça. Au début, c’était simplement pour garder une trace du concert. On a une quarantaine de concerts en ligne. Gratuitement. Et s’il y a des fanatiques de l’objet, comme je le suis moi-même, je peux leur envoyer le cd, pour la modique somme de 6 Euros, frais de port compris, quel que soit le coin de la planète. Ce sera un packaging cartonné, fabrication maison. Un peu comme ce que faisait Sun Ra dans les années septante…


C’est surtout en live qu’il faut écouter PaNoPTiCon.

Les avis divergent. Il faut dire que j’adore passer du temps sur un éditeur de musique multipistes à jouer sur les balances, à ajouter des effets stéréo. Je me demande même parfois si je ne change pas la réalité des concerts. Si je veux être tout à fait honnête et sincère, je pense que les concerts qu’on entend sur le net, ne restituent pas totalement ce qui s’et passé dans la réalité. Je m’amuse parfois à changer l’ordre des morceaux, pour trouver une progression. Est-ce un avantage ou un désavantage, je n’en sais rien. Tout le monde y trouvera ce qu’il veut.


Tu dis n’avoir aucune formation, mais quelles sont les musiques qui t’excitent ou qui t’ont influencées ? Tu parles de jazz, de rock progressif…

S’il faut citer des noms, je dirais King Crimson, Frank Zappa… En jazz, je dirai Ornette Coleman, Weather Report, Sun Ra… J’aime bien les empêcheurs de tourner en rond. Ce sont des gars qui aiment montrer que la réalité n’est pas toujours telle qu’on nous la vend. Ils cherchent des chemins de traverses. C’est ce que je recherche, c’est ce que j’aime. J’aime être bousculé. Et oui, je suis fortement influencé par la musique des années ’70, c’est sûr. Mais un groupe qui m’a vraiment impressionné ces dix dernières années, c’est Mr Bungle. Ils ont fait trois albums et puis ils ont disparu. Chacun fait son projet. Mais je n’ai pas de mots pour décrire ce qu’ils font. C’est phénoménal. C’est le premier groupe de Mike Patton, qui est devenu le chanteur de Faith No More. Et c’est grâce à son entrée dans ce groupe qu’il a pu obtenir un contrat pour Mr Bungle. Car, jusqu’à ce moment-là, il leur était impossible de signer pour un label. Le premier album de Mr Bungle a été produit par John Zorn. Le deuxième album est, pour moi, un Ovni! Dans la musique contemporaine, tu as «Trout Mask Replica» de Captain Beefhaert et «Disco Volante» de Mr Bungle. Je ne sais pas comment décrire cette musique, car ils mélangent tous les genres, mais c’est hallucinant. Tu vois, John Zorn avait fait un truc similaire avec «Naked City», mais c’était des formats courts. Mr Bungle, c’est un peu le même principe mais sur des morceaux plus longs. Ils ont le temps d’installer une trame.

 

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Toi, tu es autodidacte. Un jour tu t’es acheté une batterie…

Exactement. J’ai commencé à taper sur les casseroles de ma mère et j’écoutais Phil Collins, je n’ai aucune honte à le dire, même s’il a mal tourné (rires). Puis j’ai acheté une batterie. J’ai appris tout seul, avec un casque sur les oreilles en écoutant «Kashmir» de Led Zeppelin. Puis, j’ai pris quelques cours pour améliorer ma technique. Je ne suis pas le roi de la technique, loin de là, mais je pense avoir une oreille et le sens du rythme.


Et une personnalité aussi.

Ça, je ne sais pas. Mais je sais que les musiciens peuvent se reposer sur moi. Par contre, je ne me lancerai jamais dans des solos. D’abord je ne m’en sens pas vraiment capable mais surtout, je n’en vois pas l’utilité. Moi, je reste le pivot. Et je m’en fous si je reste métronomique dans mon jeu, même si c’est un 3/4 ou un 5/7. Je ne veux pas m’éloigner de ce rôle. Les musiciens peuvent se raccrocher à moi et se permettre toutes les libertés.

 

A+

 

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