Quand Théo Zipper m’a dit qu’il avait un nouveau projet (qui mijotait et patientait depuis un moment, Covid oblige), je m’attendais à du « rentre dedans », à du « presque funky ». C’est bête ces idées préconçues et cette mémoire sélective.
J’ai donc écouté quelques « tracks », en avant-première, de ce nouvel album (Sauvage… avouez que tout est fait pour m’induire en erreur) et j’ai été surpris de m’être fait surprendre.

A la Jazz Station, ce vendredi soir, le bassiste, originaire de Saint-Raphaël et Bruxellois d’adoption, se présentait entouré de son équipe au grand complet.
Aristide d’Agostino à la trompette, Abel Jednak au sax alto, Simon Groppe au piano et Lucas Vanderputten aux drums.
C’est donc à pas feutrés que l’on entre dans le concert. « Clockwork », sorte de valse lente entrecoupée d’un intermède plus ténébreux encore, puis « Ocean’s Speaking » et sa tension latente, permettent de mettre en avant les talents d’écriture du leader. La musique est riche, pleine de nuances et d’atmosphères. Le jeu, tout en progression, de Simon Groppe est déjà impressionnant. Sobre, délicat et sans esbroufe, Théo Zipper prépare, quant à lui, de belles pistes de décollages pour que sax et trompette puissent improviser, se libérer et s’éclater, sur « Ode To An Unfriendly Love », par exemple.

Après cette rapide et brève montée en intensité, on revient dans le « nocturne » et un certain romantisme avec le merveilleux « Emma ».
Le son clair, presque onctueux (pas sucré, pas enrobé) d’Aristide D’Agostino épouse délicatement la mélodie. Le son est limpide et pur. On pourrait comparer cela à une belle pièce de mécanique bien usinée, sans défaut ni frottement. D’autre part, le dialogue impressionniste de la basse avec la batterie, plus tachiste, ajoute à la rêverie.

Le groupe s’entend à merveille et l’envie d’enfin jouer ce répertoire sur scène est flagrant. Tout coule avec évidence. On dirait que les musiciens eux-mêmes découvrent la qualité de cette musique. Alors, ça joue sans complexe, ça ose, ça savoure. Et chaque thème possède ses moments de surprises.
Dans un esprit très « In A Silent Way », le second set s’ouvre avec « Power Of The Sun ». Simon Groppe, au Fender Rhodes, égraine les notes pleines de reverbs. Le sax et la trompette, à l’unisson, déroulent un motif répétitif et très « cosmique ». On enchaine ensuite avec « Winter (in the basement) » qui monte très vite en puissance. Le tempo est plus élevé, plus nerveux (Lucas Vanderputten est décidément impeccable). Aristide s’emballe et c’est surtout Abel Jednak qui s’amuse à enfiler les chorus de plus en plus puissants et enflammés. Il injecte quelques inflexions coltraniennes et ne cesse de relancer le thème, bien aidé en cela par la basse ronflante de Zipper. Fantastique moment.

On pense que la tension est soudainement retombée lorsqu’on laisse à Simon Groppe une longue introduction sur « Wood, Mist and Stone » . On est presque déstabilisé par cette ouverture très lyrique qui pourrait peut-être être empruntée à Ravel. Mais, petit à petit, on comprend les idées proposées par le pianiste. Tout prend de l’épaisseur, tout se met en place. Et c’est bluffant. Comme quoi, il faut faire confiance aux artistes, il ne faut pas juger trop vite les premières mesures, il faut se laisser faire par la musique, car elle est capable de vous faire de très beaux cadeaux. Avec le dense « Story Of Gorilla », une fois de plus, les souffleurs s’en donnent à cœur joie. Il n’y a pas à dire, sur scène, il y a du beau monde et du talent.
Le public l’a bien compris et obtient, en rappel, un « Bruxelles » trépidant, nerveux et jouissif.

C’est tout ça le côté « Sauvage » de Théo Zipper, une façon singulière de jouer avec les émotions et d’aller là où on ne l’attend pas.
A suivre, donc…
Merci, encore une fois, à ©Roger Vantilt pour les belles images.
A+
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